12 Avr. 2016

18h30
événement

Ariane Epars – VOIX OFF

→ MAMCO

Artiste plasticienne, Ariane Epars développe des projets en lien avec les lieux et leur histoire. En 2015, elle publie Carnet(s) du lac aux éditions Héros-Limite, texte dans lequel elle décrit chaque jour pendant une année le paysage visible de sa fenêtre sur le lac Léman.

 

Introduction de la lecture du 12 avril 2016 par Carla Demierre :

Ariane Epars est artiste. Son œuvre consiste en des interventions pensées pour des lieux spécifiques. Aux invitations qui lui sont faites à intervenir dans un espace donné, elle répond par des gestes minimaux et mesurés. Appliquer du mastic au doigt sur des vitres ou enduire des fenêtres de graisse à traire. Frotter un mur avec des bâtons de graphite ou tracer un réseau de lignes à main levée. Tresser un tapis avec de la corde à linge ou du papier parchemin torsadé. Colorer une crypte en un monochrome rouge minéral ou couvrir de tuiles concassées le sol d’une cour intérieure. Via des gestes qui redessinent et mesurent les espaces, cherchant l’équilibre, agissant comme révélateur d’une intensité, Ariane Epars dépose des traces matérielles comme autant de remarques. Enduire un mur de crépi béton pour retourner la façade vers l’intérieur, nettoyer les interstices d’une construction en bois pour « voir et sentir la mer », construire une nouvelle portion de tunnel pour le rallonger de 3 mètres, retrancher une bande de mur pour rendre visible ses couches intérieures. L’espace c’est du temps imperceptible mais concret, subtil, fugace ou élastique. Et si l’écoulement passe toujours inaperçu, chaque seuil franchi est un indice du temps dont le monde matériel garde les traces.

Jamais préméditées, les gestes de Ariane Epars font pourtant l’objet d’une lente préparation qui passe par une pratique parallèle de l’écriture, où le carnet est le lieu privilégié de l’enregistrement des sensations et de la recherche d’une certaine qualité de l’attention. Le journal, la note, la remarque, la liste sont des formes textuelles qui irriguent cette œuvre depuis ses débuts. Des pages de carnets sont exposées pour la première fois à la galerie Mire en 1999 sous le titre « Tableaux ». La même année, sous le titre « esquisse » elle publie un recueil thématisé de notes puisées dans dix ans de carnets. En 2002, une résidence à Marfa au Texas aboutit à un journal dont les entrées retraçent la successions des ciels et les irruptions du vent dans le désert. Il arrive que du langage soit la matière première d’une intervention : des phrases rasantes qui balaient les murs d’un réservoir d’eau désaffecté, la description d’un tableau diffusée au bord d’une rivière. Ou un diaporama de phrases manuscrites intitulé « Notes du lac » préfigurant dix ans plus tôt, le projet « Carnet(s) du lac » qu’elle vient de faire paraître aux éditions Héros-Limite. Ce livre de près de 400 pages reprend en l’approfondissant cette pratique de la prise de note. Dans ce journal sont consignées des observations qui reviennent jour après jour sur la même portion de paysage, vue de sa maison. Ce panorama de lac, ciel et montagne forme une sorte de triangle organique aux irrégularités infimes et transformations continuelles, qu’Ariane Epars s’emploie à décrire avec minutie, légèreté et patience. Le lac apparaît comme une somme de péripéties qui le font passer du stade du miroir à celui de surface plissée puis bosselée ou huileuse, lente, veloutée, vibrante ou plombée. Entre portrait d’un œil et observation d’un lac, l’un reflétant l’autre, ce texte continue dans le livre ce que la terre battue, le ruban à masquer ou la couverture de déménagement accomplissent dans les espaces construits.