8 Déc. 2015

18h30
événement

Caroline Sagot-Duvauroux – VOIX OFF

→ MAMCO

Depuis que désormais toujours les chevaux s’enfuient des mains.

Caroline Sagot Duvauroux est à la fois peintre et poète. Elle a publié de nombreux livres, notamment chez Les Ennemis de paterne Berrichon et aux éditions José Corti, parmi lesquels Le récit d’il neige (Les Ennemis, 2006), Le Vent Chaule/L’Herbe écrit (Corti, 2009) et Le livre d’El – d’où (Corti,2012). Son dernier ouvrage paru est Canto Rodado (CipM, 2014). Depuis vingt ans, elle participe à de nombreuses expositions en France et à l’étranger. Son œuvre compte également des estampes et des livres d’artiste.

 

Introduction de la lecture du 8 décembre 2015 par Carla Demierre :

Caroline Sagot Duvauroux est peintre et poète. Avant ça elle a été un temps comédienne. Elle est l’auteur de nombreux livres, et notamment une demie douzaine de volumes aux éditions José Corti, ainsi que plusieurs livres aux éditions Les Ennemis de paterne Berrichon. Cette maison d’édition est établie à Crest dans la Drôme, où CSD s’est occupée d’un petit « salon de l’édition » dans lequel elle a aussi programmé des lectures. Son œuvre compte également des estampes et des livres d’artiste.

Je me suis demandé comment parler des livres de Caroline Sagot Duvauroux. Faut-il tenter de décrire la langue qu’ils abritent? Faut-il faire le récit de l’expérience intellectuelle et sensible qu’ils constituent ? J’ai cherché à savoir comment d’autres en parlaient et j’ai remarqué un phénomène curieux. Les chroniques des livres de CSD sont souvent écrites dans une langue poétique. Tout se passe comme si l’objet de la chronique (de la poésie) devait fatalement affecter la voix du chroniqueur. Comme si il fallait endosser le langage de la poésie pour pouvoir dire quelque chose de la poésie. Ce serait une forme irréductible, indépliable. Et ça m’a paru être une bonne nouvelle. Début d’explication, les chroniqueurs de poésie sont souvent écrivains, et même poètes. Mais il y a autre chose. On peut comprendre la poésie comme une machine ventriloque, elle « fait » ou elle « prend » des voix. Ajouté à ça, un autre trait : la poésie est un désir de forme extrêmement contagieux, dont la force d’attraction dans le langage est inversement proportionnelle à la précarité de ses moyens.

A la question de pourquoi en écrire (de la poésie), j’ai entendu CSD répondre « J’aurai essayé ». La poésie tient entre désirer et tenter. Les livres de CSD ont une puissance qui vous happe et vous entraîne dans les grands fonds du langage. D’où vient cette puissance et où est-ce qu’on va exactement. Je ne prétend pas y répondre. Il me semble que les livres de Caroline non plus. Simplement ils y vont. Je vais tenter décrire un peu le « comment » à partir de deux livres. Aa, journal d’un poème (Corti 2007) et Le livre d’El d’où (Corti 2012). Aa est un journal-poème, D’où un théâtre-langage.

Imaginez que vous remontez le courant d’un écoulement tourbillonnaire (un vortex). Vous avancez contre une force, le langage, vous êtes entraîné vers le centre. Sur le chemin vous vous délestez des significations, être plus léger pour mieux monter dans le sens. Vous apprenez que le sens c’est articulations et intensités. Et que le livre est une manière de se tenir debout au milieu des forces. Vous passez à travers différents régimes typographiques, vous regardez le texte s’organiser et se désorganiser sur la page, vous rencontrez des mots rares, des mots inconnus, vous éprouvez des choses pour ces mots, retrouvailles et rencontres déroutantes avec du lexique, il y a des sésames difficiles à ouvrir, d’autres vous explosent à la figure, vous pouvez varier la profondeur à laquelle vous traversez les pages, vous tombez sur des personnages, des figurants, des amis, le hasard les organise : Héraclite, des présocratiques en file indienne, Robert Barry, Jean-Luc Godard, Lao Tseu, Angela Davis, Bruce Lee, Rafaël Nadal (je crois). Vous vous trouvez dans cette langue comme dans de la brume qui découpe autrement un paysage familier, mais vous restez capable de voir où vous mettez les pieds. Simplement vous avancez, et régulièrement vous tombez sur une phrase lumineuse qui vous met la tête à l’envers, par exemple celle-ci « c’est quoi cette histoire de clairière se disait la forêt profonde ».