Robinsoneries – journal des bords : Marco Simao

lundi 6 avril 2020

 

[…] et c’est comme ça que je suis arrivé à Bottomia.

J-1

J’étais un peu perdu au début, je me suis retrouvé devant deux dodos au guichet. Moi je voulais juste partir en vacancs tranquillement, m’enfin ils parlaient français alors c’était facile. Ils m’harcèlent de questions. Ils me demandent mon prénom, à quoi je ressemble, si je viens de l’hémisphère nord ou sud, et finalement si je ne devais prendre qu’une seule chose avec moi qu’est-ce que ça serait ? C’est quoi ce délire, j’suis pas sensé juste donner mon ticket de vol et mon passeport? Je me moque d’eux et je réponds que je m’appelle Yahill, que j’ai deux couettes et des yeux verts, les joues rosées, et que mes mains sont toutes rondes, que je viens de la partie nord et que je prendrai de quoi m’occuper. Ils ont l’air d’accepter, et me prient de prendre place dans un avion tout jaune aux hublots bleus. Je monte à bord et passe le voyage entièrement seul: à moi le jet privé. L’avion est enfin en train de descendre on va bientôt atterrir. À travers ma petite fenêtre j’aperçois une toute petite île. Je vois quelques arbres dont des poiriers, et je ne remarque qu’une petite place et une tente verte. Je n’arrive pas du tout où j’avais prévu, je me retrouve dans un endroit désertique. Je me tourne vers mon pilote, un autre dodo cette fois avec des lunettes aviateur. C’est surement l’accessoire qui doit témoigner de son orientation professionnelle. Sa voix grave me confirme que je suis bel et bien arrivé. Bon, pas de retours en arrière, dans quel genre de merdier je me suis encore embarqué.

Je sors de l’aéroport et je me fais sauvagement accueillir par une grenouille violette, un fourmilier sportif et deux tanukis bruns. Ils sortent d’où? Moi je n’ai vu personne dans l’avion.

On m’annonce que je dois être excité à l’idée d’explorer ma nouvelle île, et que je devrais me rendre au plus vite à la place publique. « MA » nouvelle île? J’avance tout droit, je remarque beaucoup de mauvaises herbes, une petite rivière et des plantes jaunes et blanches. J’arrive enfin à la place et rencontre une dernière personne. Nous sommes en tout 6. Tout le monde se présente il y a Méli, Mélo, Tom, Antonio, Diva et moi. J’apprends que Tom, lui aussi un tanuki, est le directeur d’une entreprise qui s’occupe de gérer l’économie de l’île. Je ne sais pas pour qui il se prend mais il ne va pas longtemps être le chef de mon île, en plus y’a rien.

Il m’offre une tente et une carte que je m’empresse de ranger dans mon sac que je ne savais même pas que j’avais. Apparemment, il faut que je la monte au plus vite et que je choisisse un endroit. Je m’installe pas très loin de la plage et j’aide également Diva et Antonio à trouver leur place. Nous revenons les trois à la place où nous retrouvons Méli, Mélo et Tom qui nous annonce qu’on devrait aller chercher du bois pour faire un feu pour ne pas mourir de froid durant la nuit. Lui, il s’occupera d’aller chercher les poires dispersées un peu partout sur l’île. Je pars en mission, bien motivé à ramener le plus de bois possible. Je m’approche du premier arbre que je trouve, je tente d’agripper l’arbre avec mes mains toutes rondes, et je commence à secouer l’arbre le plus fort possible. Après quelques secondes d’acharnements, trois branches sont tombées par-terre. Je répète l’action pendant plusieurs minutes et je ramasse au passage quelques mauvaises herbes. Je ne sais pas trop ce que j’en ferai. De retours à la place, on partage collectivement toutes les ressources que l’on a récupérées. Tom a une nouvelle idée: il faudrait que l’on trouve un nom pour notre île. Finalement, c’est mon idée qui est retenue: Bottomia. Après ça on décide d’aller tous se coucher.

J-2

Je me réveille le matin dans ma tente. Je ne sais pas quelle heure il est mais j’entends de la musique. Un chien m’a parlé pendant mon sommeil, impossible de me rappeler le contenu. Je m’empresse d’aller vers la place publique voir ce qui se trame. À ma grande surprise, j’apprends que je suis endetté. Tom veut que je lui rembourse la tente qu’il m’avait donnée à la base. Tom, qui semble vouloir m’aider bien qu’il m’ait lui-même entourloupé, m’explique que le seul moyen de rembourser mon prêt est d’obtenir des clochettes. Pour se faire, il faut récolter diverses plantes, matériaux animaux et insectes afin de les vendre à son entreprise Nook. C’est comme ça que je suis parti explorer l’île et que j’ai construit divers outils. Une canne à pêche, puis un filet pour capturer des insectes, puis une hache, puis un lance-pierre pour capturer des objets qui flottent parfois en l’air accroché à un ballon, puis une perche pour sauter par-dessus les rivières et aller toujours plus loin, puis une échelle pour gravir les collines qui sont inatteignables. Je rentre le soir épuisé, libéré de ma dette après une cinquantaine d’actions et des centaines de ventes qui ont l’air clairement illégales.

J-3

J’ai découvert que des clochettes étaient cachées dans le sol. Si je creuse un peu partout je serai riche ! Un musée est venu s’installer sur l’île et expose les créatures que je pêche, capture ou déterre. Ça a toujours été, pour moi, mon plus grand rêve d’être artiste. Je suis exposé dans chaque salle.

J-4

Cette nuit, ma tente s’est transformée en maison lorsque je dormais. L’angoisse, j’ai cru qu’on m’avait déplacé pendant mon sommeil. Voilà une nouvelle dette qui s’annonce…

[…]

J-8

J’ai caché un sac de clochette près de ma maison. Diva, ma voisine, je la sens prête à tout.

[…]

J- 13

Un arbre a poussé dans mon jardin. Il me donne quotidiennement de l’argent. La musique, elle est omniprésente. Quoi que j’y fasse elle est toujours là, changeant chaque heure. Il y a en a 24 en tout. Je les connais par cœur je n’en peux plus.

[…]

J-128

Je rencontre pour la première fois un autre être humain, j’ai cru que j’étais devenu fou. On s’est échangé des cartes de bricolages et je lui ai offert une poire.

[…]

J- 204

Je contrôle maintenant le temps au gré de mes envies. J’ai voyagé de 12 heures vers le futur: appelez-moi Chronos.

[…]

J-543

Tous les jours je me réveille et quelque chose de nouveau apparaît. Nook est devenue une multinationale trop puissante. Je n’en peux plus de payer et de bricoler. Je suis dans un vortex de dette et de création, une boucle infinie. Tom m’oblige inlassablement à consommer. J’ai rasé l’île des centaines de milliers de fois, récolté chaque jour les mêmes ressources au même endroit qui reviennent toujours. Pour ce faire j’utilise mes outils dernière génération, mais cette île est maudite. Au bout de plusieurs utilisations mes outils se volatilisent dans mes mains et je suis obligé d’en créer d’autres. Je vis maintenant dans un château, un endroit où l’on m’oblige à être mais que je tente de décorer le mieux possible. Ces idées je les reçois la plupart du temps grâce au ballon qui vient du ciel. Je ne sais pas si c’est un dieu ou une île voisine qui essaie de m’aider, mais en tout cas ces offrandes sont bien précieuses. Avec ça j’ai pu me créer une chaîne stéréo avec simplement quelques morceaux de bois, de la pierre et des cerises. J’ai pu enfin écouter autre chose que ces 24 musiques de merde.

J’ai entendu pour la première fois autre chose que ces 24 musiques de merde d’une heure toujours jouées à la suite. À la radio, j’entends de Brigitte Fontaine, entre deux grésillements:

« Idem le baratin.
Jusque dans les vécés
J’en peux plus par pitié.
Faudrait changer de disque,
entreprise à haut risque. »