ADIEU DONALD

Du 18 au 22 février 2013

En mars 1969, un goéland baptisé Misfit a survolé pendant quelques jours la navigation errante d’un trimaran au large du Rio Salado, le long des côtes argentines. À son bord, heureux d’avoir enfin un compagnon dans le ciel bleu de l’été austral, un navigateur solitaire lui faisait coucou de grands gestes. Il était maigrichon et barbu, souvent ivre, se filmait avec une caméra tenue à bout de bras et criait au goéland des poèmes dans un anglais du Devon. Cet homme s’appelait Donald Crowhurst. Il avait une femme, deux enfants, et dirigeait une société menacée de faillite. Depuis quelques mois il dérivait volontairement dans l’Atlantique, trafiquant son livre de bord et communiquant de fausses positions. Il attendait patiemment que les autres concurrents d’une course sans escale fassent le tour du pôle Sud, pour rattraper discrètement le peloton et empocher une prime. Quatre mois plus tard, fou de solitude et de honte, Donald mettait fin à sa tricherie en disparaissant définitivement dans l’océan.

En février 2013, une centaine de mouettes posées sur les rives de la jonction du Rhône et de l’Arve ont vu un groupe d’étudiants mettre à l’eau un radeau. Il était composé de fragments d’épave récoltés cinq jours plus tôt dans le Léman, et couvert d’objets en plâtre évoquant l’aventure de Donald. C’étaient des moulages de flotteurs, de goupilles et de poulies, de cordages, tous fabriqués exprès en son souvenir. On ajouta quelques bougies au monument et, après une brève cérémonie, on laissa dériver le radeau. C’était un fantôme blanc, flottant tout juste à la surface du fleuve, dans la brume de l’hiver genevois. Lentement, il se dirigea droit vers le pilier central du Pont Butin. Il s’y heurta doucement, et coula. Aux cris de ravissement des étudiants et de leurs professeurs, toutes les mouettes s’envolèrent comme un feu d’artifice. Face à la perfection de cet accident, on pensa à Donald.

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