Robinsoneries – journal des bords : Marion Dubey

jeudi 26 mars 2020

J’aime dormir, me perdre dans mes draps. Le sommeil comme eldorado. Mon grand lit. Mes 8 heures, minimum. Et puis, les siestes, quand la nuit ne me suffit plus. Des instants suspendus. Je m’absente et reviens. Depuis le début de cette période dissonante, j’essaie tant bien que mal de donner une forme à mon quotidien. De m’imposer des horaires. De mettre un réveil. Car l’idée de passer ma journée au lit est plutôt tentante. Comment ne pas succomber à l’envie de rejoindre mon lit lorsque mon espace de « télétravail » se trouve uniquement à quelques pas de celui-ci ?

chasser les ombres –– 1/3 –– oscillations rythmiques –– intervalle nocturne –– rotation cyclique –– 24/7 –– temporalité alternative –– geste partagé –– abandon innocent –– absence inexploitable

« Quiconque a vécu sur la côte ouest, en Amérique du Nord, le sait sans doute : des centaines d’espèces d’oiseaux migrateurs s’envolent tous les ans à la même saison pour parcourir, du nord au sud et du sud au nord, des distances d’amplitude variable le long de ce plateau continental. L’une de ces espèces est le bruant à gorge blanche. L’automne, le trajet de ces oiseaux les mène de l’Alaska jusqu’au Nord du Mexique, d’où ils reviennent chaque printemps. À la différence de la plupart de ses congénères, cette variété de bruant possède la capacité très inhabituelle de pouvoir rester éveillée jusqu’à sept jours d’affilée en période de migration. Ce comportement saisonnier leur permet de voler ou de naviguer de nuit et de se mettre en quête de nourriture la journée sans prendre de repos. Ces cinq dernières années, aux États-Unis, le département de la Défense a alloué d’importantes sommes à l’étude de ces créatures. Des chercheurs de différentes universités, en particulier à Madison, dans le Wisconsin, ont bénéficié de financements publics conséquents afin d’étudier l’activité cérébrale de ces volatiles lors de leurs longues périodes de privation de sommeil, dans l’idée d’obtenir des connaissances transférables aux êtres humains. On voudrait des gens capables de se passer de sommeil et de rester productifs et efficaces. Le but, en bref, est de créer un soldat qui ne dorme pas. L’étude du bruant à gorge blanche n’est qu’une toute petite partie d’un projet plus vaste visant à s’assurer la maîtrise, au moins partielle, du sommeil humain. »

Jonathan Crary, 24/7, le capitalisme à l’assaut du sommeil